L’audience de Monseigneur Carlo Caffarra
Rome, 18 février 1991
Le Lundi 18 février 1991, les étudiants et professeurs de la Faculté — une cinquantaine environ—, pérégrinant à Rome, étaient aimablement reçus dans un fort moderne amphithéâtre de l’Université du Latran par Monseigneur Carlo Caffarra, président de l’Institut pontifical pour les études sur le mariage et la famille. Vous trouverez ci-dessous l’intégralité de l’enregistrement de cette audience.
Mgr Caffarra: Vous vous trouvez à l’Université du Latran, qui est l’Université du pape. Ici, nous ne sommes pas en Italie. Nous sommes dans l’Etat du Vatican. Le Vatican a deux territoires: celui que tous connaissent, avec Saint-Pierre, etc., et l’autre qui est ici, et qui comprend: l’Université où nous sommes, le séminaire du diocèse de Rome, dans ce palais également, et la basilique Saint-Jean.
L’Université du Latran n’est pas très ancienne comme telle. Nous sommes ici depuis l’année 1929, mais l’Université comme telle a été constituée il y a un peu plus de deux cents ans. Ce n’est donc pas très ancien, par rapport aux autres Universités (devenues) civiles, comme la Sorbonne ou Bologne. Dans cette Université, le Saint-Père a voulu, en 1981, cet institut, l’Institut Jean-Paul II des études sur le mariage et la famille. Il a une origine tragique, parce que le Saint-Père avait préparé un discours pour annoncer à toute l’Eglise la fondation de ce nouvel institut le fameux 13 mai 1981 mais, comme vous savez, précisément pendant l’audience publique, le Saint-Père a été blessé...
Nous avons commencé notre activité académique en octobre suivant. Quelle activité? Avant tout, c’est un institut universitaire de droit pontifical. Il donne les degrés académiques propres à l’organisation ecclésiastique universitaire: la licence et le doctorat en théologie, avec une spécialisation particulière sur le théologie et l’éthique du mariage, et enfin, ce qui est l’unique cas dans l’organisation universitaire de l’Eglise catholique, un «mastèr» dans les sciences du mariage et de la famille. Trois degrés académiques, donc. Comme dans toutes les Universités, il y a des professeurs, des étudiants, des cours, des séminaires, des thèses de doctorat, de licence, etc., une activité académique normale. Les élèves sont actuellement 182, et sont de 72 nationalités; ils viennent de partout dans le monde. Quand je fais mes cours, j’ai des étudiants qui viennent des Etats-Unis, de Corée, d’Italie, d’Espagne, de Suède, etc.
Vous comprenez bien que le premier problème a été la langue. Quelle langue utiliser? Parce qu’on ne parle plus le latin. Quand j’ai passé mes degrés académiques dans les Universités pontificales, ici à Rome, à la Grégorienne, on parlait encore en latin. J’ai passé tous mes examens en latin, tous. J’ai rédigé ma thèse de licence en latin. C’était un problème qu’il était très difficile d’exprimer en latin, car c’était sur la propriété privée dans Le Capital de Karl Marx... (rires) Exprimer la théorie de Karl Marx sur les plus-values en latin, cela n’a pas été une entreprise facile. Le problème a donc été débattu. Alors, l’anglais?... mais les Espagnols disaient: «Non, parce que dans l’Eglise catholique, la langue la plus parlée, c’est l’espagnol»… Après, pourquoi l’espagnol, et pas le français, et ainsi de suite. Finalement, on a décidé l’italien, parce qu’au moins, on le parle ici.
Notre seconde activité, très importante, est une activité de recherche, plus scientifique, qui s’exprime surtout par l’organisation tous les deux ans de congrès internationaux de théologie morale. Pour l’instant, il y en a eu trois, le premier sur la philosophie et la théologie de la procréation responsable, le second sur le problème éthique dans une société sécularisée — avec une attention particulière aux problèmes scientifiques de la justice dans la société et de la vérité dans les mass-media —, et le troisième, à l’occasion du vingtième anniversaire de l’encyclique Humanæ Vitæ, sur toute la problématique de la contraception. Des congrès donc, et des séminaires... Après trois ou quatre ans d’activité, nous avons vu très clairement un problème qui ne pouvait pas être résolu ici. La doctrine de l’Eglise sur le mariage et la famille est la même dans tous les pays de ce monde et pour toutes les personnes humaines. C’est la même, mais vous comprenez que les problèmes du mariage et de la famille sont très divers, selon la culture du pays où l’homme et la femme vivent. Alors, il était très difficile, pratiquement impossible pour nous d’éduquer les étudiants à cette médiation entre la doctrine, qui est la même pour la France, le Zaïre, les Etats-Unis et la Nouvelle-Zélande..., et la vie concrète, historique, culturelle, de la famille. Nous avons cependant essayé de le faire. Je me souviens très bien, par exemple, que j’ai fait un séminaire d’études sur le problème de la stérilité comme empêchement du mariage. J’ai commencé le séminaire et j’avais uniquement trois élèves du Togo... Pour les étudiants du soi-disant «premier monde», c’est un problème qui n’existe pas. Au contraire, dans certaines cultures africaines, aujourd’hui encore, la stérilité empêche le mariage.
Ce problème très difficile ne pouvait pas être résolu ici. De l’autre côté, c’est très important pour nous, parce que notre intention n’est pas uniquement de former des futurs professeurs, mais aussi des pasteurs, des personnes qui ont des responsabilités pratiques. Une solution: créer des sessions de l’institut dans d’autres pays. Nous avons commencé en 1987: nous avons ouvert un campus aux Etats-Unis, à Washington D.C. avec une session de l’Institut qui a donné le premier degré académique l’année dernière. Maintenant, nous avons 60 étudiants des Etats-Unis et du Canada anglophone. Ensuite, l’an passé, nous avons ouvert une session parallèle en Hollande pour l’Europe du Centre et du Nord, la Scandinavie où, comme vous savez, il y a eu une destruction totale de tout point de vue de la famille. Maintenant, après cette tragique expérience humaine, on essaie toujours plus de récupérer, même au niveau des lois civiles, cette réalité, aux Etats-Unis et en Hollande. En octobre prochain, nous allons ouvrir une session à Guadalajara. C’est cela, notre Institut.
Maintenant, à vous, si vous avez des questions à poser.
Q. : Avez-vous décerné des doctorats en théologie?
Mgr C. : Nous avons maintenant deux docteurs en théologie, qui sont venus de France. Deux prêtres, l’un d’Aix et l’autre du diocèse d’Autun. Nous avons cinq ou six licenciés en théologie. Actuellement, nous avons deux prêtres français, qui préparent leur licence puis leur doctorat. Je les avais invités à venir avec vous, mais ils ont cours et n’ont pas voulu manquer leur cours.
Q.: Vous avez dit que votre institut souhaitait former des pasteurs. Qu’est-ce que vous suggérez comme moyens pratiques pour donner une idée saine de la famille et la défendre dans la société occidentale?
Mgr C.: Nous avons beaucoup réfléchi, nous continuons à réfléchir sur cette question, parce que c’est la base de notre activité. Nous sommes convaincus qu’il y a un problème, des problèmes dans le mariage et la famille, parce qu’il y a des problèmes de l’homme, comme tel. On a perdu la perception profonde de la vérité entière de l’amour conjugal, parce qu’on a perdu la perception de l’identité de l’homme, de la personne humaine. Ce que nous faisons avant tout avec nos étudiants, c’est nous efforcer de les aider à retrouver cette vision anthropologique claire et profonde. Quand nous avons commencé, nous avons eu naturellement des critiques, beaucoup de critiques. L’une était: «Mais pourquoi tant de philosophie? Quelle est la relation entre la philosophie, le mariage et la famille? Il n’y a pas de relation, on doit parler d’autre chose, pas de philosophie». Nous avons en effet beaucoup de cours de philosophie, d’anthropologie philosophique, d’éthique philosophique générale, de métaphysique de la connaissance humaine, etc. Beaucoup de personnes m’ont demandé: «Mais, Monseigneur, ce temps perdu... Les problèmes de la famille et du mariage sont d’autre problèmes, ne sont pas des problèmes philosophiques…». Nous nous demandions comment rejoindre cette perception profonde de la vérité de la personne humaine. En premier lieu, nous sommes partis de la conviction, centrale dans la doctrine de l’Eglise, que c’est seulement dans la lumière du Verbe Incarné, de Jésus-Christ, que nous pouvons comprendre toute la vérité de la personne humaine. Nous essayons de bâtir avec nos étudiants ce que nous appelons une anthropologie christologique, c’est-à-dire une connaissance de la personne humaine dans la lumière du mystère du Christ.
En second lieu, nous pensons que pour retrouver cette vision profonde de la vérité de l’homme, il est absolument nécessaire de redonner sa dignité à la raison humaine comme telle. Une des choses qui, dans mon expérience d’homme, de prêtre, m’a toujours plus convaincu de la doctrine du christianisme, et qui m’a beaucoup enthousiasme pour l’Eglise catholique, a été la défense profonde que l’Eglise catholique a toujours faite de la raison humaine contre toute forme de fidéisme. Qu’est-ce que cela veut dire dans notre programme, dans notre recherche? Redonner sa dignité à la raison humaine, cela veut dire pour nous éduquer nos étudiants à une attention spirituelle profonde à ce que sont les expériences humaines les plus essentielles de l’homme. Simplement, nous disons à nos étudiants: «Ouvrez vos yeux spirituels sur ce que vous vivez chaque jour comme personne humaine».
De grands maîtres peuvent nous aider dans cette profonde attention spirituelle à l’expérience que nous vivons. Qui sont ces maîtres que nous suivons ici, à l’institut? Avant tout et surtout, saint Thomas d’Aquin. Je le dis aux élèves qui commencent ici: «Nous sommes pluralistes, c’est clair, mais notre maître à penser, c’est saint Thomas d’Aquin». Parmi ceux qui ont suivi, qui ont perçu la tragédie de l’homme moderne, Pascal, Newman et le texte philosophique plus engagé du Saint-Père: Personne et Acte. Cela veut dire que nous cherchons à éduquer les étudiants à un contact direct avec les ouvrages de ceux que nous prenons comme maîtres à penser. Mais, je le souligne, l’important, ce n’est pas de dire: «J’ai lu toute la Somme Théologique, et je sais que saint Thomas dit que...», mais: «Je me mets à l’école d’un grand maître, parce que je veux être éduqué à comprendre, non pas ce qu’il dit, mais à me comprendre moi-même». Avec ces maîtres à penser, nous sommes éduqués à comprendre ce qu’est la vérité, et non pas seulement ce que disent saint Thomas, Pascal, Newman et tous ceux-là. Ce n’est pas de l’érudition, c’est de la vie. Notre ligne de réflexion philosophique va dans ce sens. Sur cette base, nous voyons ensuite quels sont les problèmes de la vie conjugale, de la vie familiale aujourd’hui.
Nous rencontrons alors les difficultés dont j’ai parlé, parce que les problèmes de l’Occident me sont pas les problèmes du tiers-monde ou de l’Europe de l’Est. En tout cas, il y a des questions qui, comme telles, sont les problèmes de l’homme. La première que veut dire aimer? Que veut dire aimer une autre personne, et plus précisément, que veut dire aimer une personne dans la forme propre de l’amour conjugal, «amicitia conjugalis», dit saint Thomas. L’amitié conjugale, l’amour conjugal... Ici, nous procédons toujours sur deux plans, comme dans une synopse: pour comprendre l’amour conjugal, il faut comprendre la virginité chrétienne; pour comprendre la virginité chrétienne, il est nécessaire de comprendre l’amour conjugal. Nous avons donc beaucoup de discours, de réflexions sur la virginité chrétienne. On nous critiqués pour cela aussi: «Pourquoi tant de cours et de séminaires sur la virginité chrétienne dans un institut du mariage et de la famille?». Toute la grande tradition éthique de l’Eglise a souligné cette complémentarité, cette réciprocité. Quand, dans une société, dans une culture, on a perdu la perception de la dignité de la virginité chrétienne, on perd toujours la perception de la dignité du mariage. Quand on a perdu la perception de la dignité du mariage, là, il n’y a pas de vocation à la virginité chrétienne. Les deux sont si complémentaires et si réciproques qu’il n’est pas possible de comprendre l’un sans l’autre. Première question, donc que veut dire aimer? Nous sommes ici dans un problème tragique de notre Occident.
Le second problème sur lequel nous avons beaucoup réfléchi est celui de la procréation humaine. Que veut dire encore une procréation humaine? Avec cette contradiction apparente, à première vue, d’une société qui a exalté la contraception comme acte de liberté et, de l’autre côté, qui veut le bébé, qui veut le fils coûte que coûte. Il y a ici quelque chose à comprendre très profondément. L’homme d’aujourd’hui voit l’origine de la vie humaine, non comme un mystère à vénérer, mais comme un problème à résoudre. L’attitude est complètement différente dans les deux cas.
Troisième question sur laquelle nous nous sommes penches, surtout dans les premières années — actuellement, nous avons interrompu notre travail, pour des raisons indépendantes de notre volonté, mais nous voulons le reprendre —: la dimension politique et sociale de ces problèmes. Quelle est, au fond, la fonction de la société civile, donc de l’autorité politique, envers la société conjugale et familiale, et vice-versa, quelle est la fonction de la société conjugale et familiale envers la société civile? Avec toute la problématique des lois civiles. Vous savez, par exemple, qu’en avril (1991), le Saint-Père a convoqué à Rome, après cinq années sans l’avoir fait, tous les cardinaux, pour une semaine, pour réfléchir ensemble sur deux points. Le premier: les attaques contre la vie humaine; et le second: les sectes, le grave problème des sectes pour l’Eglise catholique. C’est un peu dans cette ligne que nous cherchons à aider les personnes à retrouver cette vision profonde de la vie conjugale et familiale.
Q.: Vos étudiants ne sont-ils que des prêtres, ou y a-t-il des laïcs? Sont-ils d’origines diverses?
Mgr C.: Oui. Il y a à peu près 30% de prêtres, 30% de religieux et religieuses et 30% de laïcs. Du point de vue des nationalités, le groupe le plus consistant est, jusqu’à maintenant, celui des étudiants d’Amérique latine. Ensuite, ceux d’Afrique, surtout l’Afrique anglophone. Nous avons cette année nos premiers élèves de l’Europe del’Est, à part les Polonais que nous recevons depuis quelques années.
Q. : Que faut-il pour pouvoir entrer à l’institut?
Mgr C.: Pour le premier degré, il suffit d’avoir le diplôme qui donne le droit, dans son propre pays, de s’inscrire à l’Université, le Bac, pratiquement. Pour la licence en théologie, il faut avoir le Bac en théologie, qu’on obtient après le cours institutionnel, qu’on suit après le lycée. Pour le doctorat en théologie, il faut avoir la licence.
Q. Est-ce que vous pourriez développer la réflexion que vous faites ici sur les débuts de la vie humaine? Comment pourrait-on faire passer, dans l’ensemble de la société, une idée juste du jeune embryon, du jeune être humain?
Mgr C. Les premières préoccupations de notre institut, parce que c’étaient les préoccupations du Saint-Père, ont été d’avoir des contacts en profondeur avec le milieu scientifique, des contacts avec des séminaires d’études très spécialisés. Nous avons lancé des invitations à visiter nos classes à l’institut, à venir à nos Congrès... Pas seulement les scientifiques catholiques, mais dans une certaine manière, surtout les scientifiques agnostiques. Généralement, l’agnostique nous dit: «Cela ne m’intéresse pas. L’hypothèse de Dieu n’est pas nécessaire à mon travail scientifique». Nous avons aussi cherché à être présents, pas encore comme institut, mais comme professeurs, dans les milieux, dans les institutions politiques, juridiques, dans lesquels on décide ou on peut décider sur ces points. Par exemple, le vice-président du campus américain de notre institut est un des membres de la commission fédérale des Etats-Unis sur les droits civils de l’homme. Il est là précisément pour rendre présente l’anthropologie philosophique saine et chrétienne. J’ai été invité, il y a deux ans, à Strasbourg, à une session du Parlement Européen, à donner un témoignage sur le problème du respect de la vie humaine dans la société européenne occidentale.
En avril prochain, se déroulera, toujours à Strasbourg, un séminaire organisé pour le Conseil de l’Europe, sur la démographie en Europe occidentale. Comme vous savez, c’est un problème qui va commencer à être terrible, maintenant. Je ne connais pas la situation française, mais bien la situation italienne ou allemande. L’Italie, c’est le pays qui, l’an dernier, a eu le triste record du taux de natalité le plus bas. Dans cette situation, si on continuait de cette manière, en Italie, vers 2010, une personne qui travaille aurait plusieurs personnes âgées à sa charge. Aucune économie, si forte soit-elle, ne peut soutenir une telle situation. C’est impossible, déjà au niveau économique. A Strasbourg, il y aura un séminaire d’études sur cette question, et on a invité notre institut à parler. Un de nos professeurs, très compétent sur les problèmes démographiques, s’y rendra. En second lieu, donc, cette présence au milieu du monde.
Troisième préoccupation: nous avons l’idée, à l’occasion du dixième anniversaire de l’institut, c’est-à-dire l’année prochaine, d’organiser un séminaire d’études mondiales ici, à Rome, en y invitant tous les mouvements Pro-Life du monde, pour élaborer une stratégie commune pour la défense de la vie humaine naissante et de la vie humaine mourante. Car vous savez qu’il y a aussi le problème toujours plus tragique des vieillards, de la vieillesse... Je crois que la réponse à ce problème est plus profonde. Il est nécessaire d’avoir cette co-responsabilité au niveau des lois...
Je me souviens d’une expérience que j’ai vécue et qui m’a profondément troublé. J’étais invité à faire, il y a deux ans, une conférence dans une Université d’Italie sur le thème de la doctrine de l’Eglise catholique sur la contraception. Il y avait là, dans l’auditorium de cette Université, pas moins de deux mille étudiants. J’ai présenté telle quelle Humanæ Vitæ. Je vous laisse imaginer la discussion ensuite avec ces jeunes gens et ces jeunes filles. Deux heures de discussion. Une jeune fille se leva et me dit, en criant, pas en parlant: «Je vous donne raison sur tout, mais à une condition, que vous nous démontriez que la vie humaine vaut la peine d’être vécue. S’il en est ainsi, Humanæ Vitæ est vraie. S’il n’en est pas ainsi, elle est fausse». Vous voyez... C’est vrai que le noeud du problème est là. Au fond, Humanæ Vitæ, tout le monde «tique» sur ce point de l’Eglise catholique, parce que son point de départ est que c’est bien, c’est beau d’exister. Toute la doctrine de l’Eglise a son point de départ dans ce fait, dans cette expérience merveilleuse que, devant chaque personne, on doit dire: «Comme il est bien que tu existes!». On ne peut jamais dire à une personne: «C’est mal que tu existes». L’être est le bien, la grande révolution de Platon, le bien de l’être. Cette jeune fille avait raison: «Si vous me démontrez cela, Humanæ vitæ est vraie».
J’ai vu d’une manière très claire, à ce moment-là que, là où il y a une désespoir, là où ne se trouve pas le courage d’exister et de faire exister, les parlements peuvent édicter toutes lois civiles de ce monde, mais nous sommes toujours dans cette tragique situation d’une culture qui exalte comme une marque de liberté le fait de tuer la personne la plus innocente qui existe.
Q: Quels sont les autres problèmes qui peuvent se poser à l’homme? Vous avez parlé du début de la vie, mais qu’en est-il de la fin de la vie, en termes de dignité humaine?
Mgr C.: A mon avis, ce qui s’oppose à notre témoignage de la dignité de chaque personne humaine, c’est surtout au niveau du vécu spirituel de l’homme de notre société, cette désespérance, cette incapacité, ce manque du courage de viser le futur, cette absence de la conviction que l’être est le bien. Au niveau du vécu spirituel, je crois que c’est l’abime.
Comment peut-on faire por lutter sur le plan théorique? Il nous faut démontrer, «de-construire» la fausseté de toutes ces argumentations. Il faut absolument le faire, nous préparer au point de vue philosophique et scientifique. Mais si ce que disait la jeune fille est vrai, le problème devient plus complexe et plus difficile, car je ne pourrai pas répondre à cette jeune fille qui me demandait de démontrer qu’il est bien de vivre. Ce n’est pas possible. Tout n’est pas démontrable, et si tout l’était, rien ne le serait. C’est vrai. Il y a des vérités on voit ou on ne voit pas. Si tu ne les vois pas, il est inutile de commencer à discuter. Ce serait comme si je voulais faire percevoir la beauté de la sculpture de Michelangelo à un aveugle de naissance. C’est impossible. Certainement, je peux lui présenter en expliquant certaines figures géométriques, mais il ne peut pas la voir. Alors comment peut-on faire? Je crois que les plus profondes vérités existentielles, les vérités métaphysiques, éthiques, religieuses, il faut les témoigner. Comment peut-on faire comprendre qu’il est bien, qu’il est beau de vivre? En donnant le témoignage d’une existence dans laquelle la beauté, la bonté, la vérité de l’exister humainement sont évidentes.
Un exemple: nous sommes dans une salle, au milieu de la nuit, et malheureusement, la lumière vient soudain à s’éteindre. Nous pouvons discuter pendant des années sur la nature de la lumière, des ténèbres, toutes les hypothèses physiques de l’électricité, etc., mais il n’y a pas de lumière. Que faut-il faire? Simplement allumer. Ensuite, on peut discuter sur ce qu’elle est, pourquoi, en faisant ainsi, on obtient la lumière. C’est vrai aussi pour cette question: donner un témoignage très profond de la bonté, de la vérité, de la beauté de l’amour humain, de l’existence humaine, et après, on peut alors commencer à convaincre les personnes.
Voilà Merci de votre visite à l’Institut. Vous serez toujours bien accueillis.
Q.: Merci, Monseigneur.
Mgr C.: Merci à vous, et au revoir à Paris.
|